Arctic Monkeys - Tranquility Base Hotel & Casino (2018)
Pistes :
01. Star Treatment
02. One Point Perspective
03. American Sports
04. Tranquility Base Hotel & Casino
05. Golden Trunks
06. Four Out of Five
07. The World’s First Ever Monster Truck Front Flip
08. Science Fiction
09. She Looks Like Fun
10. Batphone
11. The Ultracheese
Musiciens :
Alex Turner (chant, guitare) - Jamie Cookie Cook (guitare) - Nick O'Malley (basse) - Matt Helders (batterie) - Zach Dawes (guitare, piano) - James Ford (batterieorgue, guitare, piano, pedal steel, …) - Tyler Parkford (orgue Farfisa Organ, piano) - Tom Rowley (guitare fuzz, …) - …
Chronique :
C’est l’histoire banale pour pas dire chiante de 4 mômes de Sheffield, UK. Ils se rencontrent à l’école, sont vénères-sa-race et décident de monter un groupe de rock. Sauf que, le premier album de ces sales gosses , diamant brut post punk pop garage s’impose rapidement comme « carton historique » en Grande Bretagne. Alors tant qu’à faire, prolifiques et généreux, ils nous pondent tranquillement un album tous les deux ans, mais n’en font qu’à leurs têtes : brouillant des pistes à peine tracées, faisant et défaisant l’identité du groupe, dévoilant au passage des personnalités plus complexes qu’il n’y paraissait, façonnées par des rencontres fortes : Josh Homme, Alison Mosshart, Miles Kane pour ne citer qu’eux ; affinées par des projets parallèles ambitieux: Last Shadow Puppets pour Alex Turner, Mongrel ou l’American Valhalla d’Iggy Pop pour Matt Helder… BREF: ceux qui comme moi n’ont jamais décroché des Arctic Monkeys, ont eu l’immense bonheur de trouver ce 11 mai, à la fraîche dans leurs boites aux lettres - cinq ans tout de même après AM - le fameux et très attendu Tranquility Base Hotel & Casino.
L’établissement imaginaire dans lequel nous sommes conviés ouvre ses portes de laiton rutilant sur une boucle langoureuse easy-listening dentelée de vibraphone. Le timbre familier de notre hôte, saturé de reverb, nonchalant et imprécis pose négligemment un élégant monologue monocorde, complainte désabusée de la rockstar au bord du dépôt de bilan. « Star Treatment » est le Polaroïd corné d’un coucher de soleil délavé depuis une célèbre suite, au légendaire 7ème étage d’un certain palace Cannois. Ses marbres, ses appliques art-déco, ses miroirs vénitiens, son romantisme écœurant.
Silence ça tourne. Le coup de foudre, le vrai. Aux premières notes de piano de « One Point Perspective ». Cabaret moderne au groove incandescent et élucubration d’alcoolo mythomane philosophe (in vino veritas…). C’est Bootsie Collins au Moulin rouge, c’est Sinatra au Studio 54, C’est Roxie Hart et Velma Kelly dans « Soul Train ».
Virage en épingle et gravité : « American Sport » porte les stigmates d’une détresse de vivre que l’opulence, l’abondance et le luxe ne parviennent pas à masquer. L’enfer de voir ses moindres désirs satisfaits, privé de l’excitation de l’espoir, de l’attente et de l’impatience. Psychoses et paradoxes portés par un univers rétro psychédélique brillantissime entre Gainsbourg et Bowie. Pour « Tranquility Base Hotel & Casino » et « Golden Trunks », Alex Turner sort de ses octaves de confort et viole les aigus sur des textes poétiques, cruels , alambiqués, absurdes, d’un réalisme cynique. Enigmes Lynchiennes douloureuses enveloppées de clavecins, de keyboards et d’harmonies vocales à pleurer, dignes du Pet Sounds des Beach Boys.
La part belle est faite à la basse tous morceaux confondus, elle vous est servie sur un plateau d’argent par un Nick O’malley appliqué et inspiré. Le parti pris stylistique fait que la guitare est moins centrale mais pas moins sale pour autant. Et si Alex avait prémédité ce crime parfait, seul à L.A. avec son chien et son piano, la signature Jamie Cook en reste l’arme fatale, le coup de l’état de grâce du quatuor anglais, merveilleusement secondé par Tom Rowley.
L’olive dans le Martini c’est clairement « Four Out Of Five », champ lexical autour de l’astronomie cachant une satire à lecture multiple. Un tube de l’été faussement mainstream à l’orchestration chirurgicale.
La Californie de « The World’s First Ever Monster Truck Front Flip ». Pas celle de Julien Clerc (quoi que…) plutôt celle de Brian Wilson : pas moins de deux pianos, deux orgues dont un farfisa et quatre guitares, Alex Turner à la basse et au keyboard et James Ford en renfort batterie avec Matt Helder, variation sublime de backing vocals ENCORE (j’en ai la tête qui tourne).
Pas vraiment une chanson d’amour, mais parfaite pour rouler des pelles à ton crush du moment, à l’arrière de ta Mustang cabriolet 1967.
« Science Fiction » aurait pu être la bande son du Barbarella de Roger Vadim ou le générique d’une séquence à suspense d’Amicalement Vôtre. On était encore un peu tiède on n’était pas convaincu…? Qu’à cela ne tienne : double ration de basse bien sirupeuse, re-piano, re-re-orgue et re-re-guitare. Pompeux, baroque et arrogant, « She Looks Like Fun », une douce tempête avant le calme du clap de fin. « Batphone » est une magnifique pièce de soul d’un cru exquis, qui amorce un closing soigné et précieux. Il y a du Roy Ayers là-dedans. Et du Barry White aussi. Le charme sexy et désuet d’une fin de soirée au bar de l’hôtel, Prosecco éventé, nœud pap’ en vrac et chemise ouverte.
Comme promis « The Ultracheese » est ultra cheesy mais pas tarte. Naïf mais pas niais. Sophistiqué, détaché, jeté là et… COUPEZ !
Cet album est un absolu chef d’oeuvre d’une beauté bouleversante. Alex Turner qui a écrit et co-produit l’intégralité des titres, avec l’aide du très loyal et génialissime James Ford, fait ici un magnifique cadeau au reste du groupe, qui le lui rend par une interprétation apothéotique.
Note Rocklegends : 4½ /5
Sheena