Eiffel - Interview - 15.11.2012 (2012)
Crédit photo :
Jean Jean
Date et Lieu :
Cabaret Vauban, Brest - 15 novembre 2012
Interview :
Peu après la sortie de l’excellent Foule Monstre, on a retrouvé Romain Humeau juste avant une très touchant concert d’Eiffel dans l’antre du Vauban.
Rocklegends : Deuxième album et deuxième tournée avec cette formation à priori Eiffel semble avoir trouvé l'équilibre fondamental qui lui manquait pour avancer solidement ?
Romain Humeau : C'est une conjonction de pas mal de choses, ce n'est pas que la formation. Je suis super ravi de cette formation qui n'est en fait pas très loin de la première. Quand on a monté le groupe en 1998, il y avait Nicolas Courret, Estelle et moi. Et ça a bougé par la suite, c'est ce que j'appelle la valse des ministères et au final ça n'a duré que quatre ans. Et souvent dans la longueur, un groupe ça bouge. Et surtout quand un groupe ne marche pas bien ça bouge encore plus vite, voire ça se sépare. J'adore l'idée que Nicolas Courret soit revenu et qu'Estelle soit passée à la basse, c'est un truc qui la branchait bien depuis le début. Nico Bonnière à la guitare a une certaine expérience et est devenu un grand ami.
Donc il n'y a pas que la formation, car quand on a sorti les deux premiers albums on était sur Labels et ça a bien marché avant qu’il ne soit bouffé par EMI. Après, les gens ont changé et nos albums y compris mon album solo, n'ont pas eu de promo. Donc on est redescendu et on s'est fait viré. Mais le fait qu'on ait monté un studio avec Estelle a tout changé. Le Studio des Romanos, c'est le cinquième membre d'Eiffel.
Rocklegends : Oui, tu avais dit que pour le même budget alloué, vous pouviez peaufiner bien plus longtemps vos albums...
Romain : Oui, c'est le principe de travailler plus pour gagner pareil quoi (rires) ! Mais on s'en fout parce que c'est notre passion. On est des artistes, des chercheurs... Donc le studio des Romanos est très important. Et le fait qu'à la fin de l'enregistrement d'A Tout Moment nous n'avions pas de maison de disques et que l'on a signé avec Pias, ça a été un tournant important et ça a marché. On fait disque d'or et une super tournée. C'était quitte ou double ! C'est la première fois que ça marchait autant car 50 000 albums en 2009 c'est l’équivalent de 150 000 en 2003... Suite à ce succès, on a décidé de ne pas exploiter le filon mais de faire autre chose... donc on a fait Foule Monstre.
Rocklegends : Le succès d'A Tout Moment n'a vraiment rien changé dans votre fonctionnement ? Vous n'avez pas réfléchi une seconde de plus à prendre des risques ?
Romain : Non, on a toujours eu une énorme pression depuis le début. Mais la pression est celle que l'on se met à nous même. Qui plus est, durant la précédente tournée, on a vécu des choses douloureuses avec la disparition de proches et on a du annuler des dates... Du coup, j'étais déjà en train d'écrire des chansons et mon écriture a été trop influencée par ces événements. J'en ai jeté beaucoup mais il y a des choses qui sont restées. Et on avait dans l'idée d'utiliser des sons qu'on a toujours aimé... le son du hip hop, le son de Depeche Mode, le son des vocodeurs. On nous prend parfois pour un groupe de rock français ténébreux mais on n'est pas du tout ça, on aime plein de trucs.
Après, j'écris souvent des morceaux à la guitare/voix ou piano/voix et j'essaye toujours de trouver de chouettes harmonies et des mélodies... J'essaye toujours qu'il y ait un canevas classique que j'aime et puis à l'intérieur il y a une petite surprise harmonique ou textuelle, avec un truc qui dénote. Par exemple, la troisième harmonie de « Tu Vois Loin »...
Rocklegends : Quand on s'est vu la dernière fois, Romain tu m'avais dit « on ne croit pas en l’évolution… le progrès dans l’art ça n’existe pas »... Pourtant, Foule Monstre bouleverse encore la donne, sans révolutionner votre parcours mais en creusant encore plus. C'est certainement votre disque le plus éclectique, ce n'est pas une certaine forme d'évolution ?
Romain : Je fais une différence entre évolution et progrès. Je ne crois pas au progrès dans l'art. Dans l'art, ce qui est dit ne change pas sur le fond, c'est la forme qui change. Fondamentalement, je chante l’amour, la mort et la manière de vivre avec les gens. Après, c’est ma manière à moi de le faire qui change. Il y a un peu de tout, un peu de psychédélisme, un peu de noisy, un peu de choses « vieille France » à la Brel, c’est mon influence majeur en France. Je pense donc qu’on varie les formes mais le fond ne change pas réellement…
Rocklegends : Ce n’est pas une fin en soi, mais est-ce que tu as l’impression que les médias nationaux s’intéressent plus à Eiffel et qu’ils vous comprennent mieux aujourd’hui ?
Romain : Non je ne pense pas qu’ils s’intéressent plus à nous qu’avant. Je ne leur en veux pas, ils font ce qu’ils veulent. J’ai attendu ça pendant un moment et maintenant je ne l’attends plus. Je ne suis ni blasé ni aigri, maintenant je m’en fout ! Eiffel est outsider, on est comme une AMAP, on s’adresse directement aux gens. Je serai très heureux si demain les médias parlent plus de nous en bien mais je ne vais pas attendre ça toute ma vie, j’ai autre chose à faire. Et puis les médias et les maisons de disques fonctionnent souvent ensemble et se mettre d’accord pour mettre en avant tel ou tel artiste et que ça marche…
Rocklegends : Alors que vous, vous êtes dans un succès moins exponentiel mais dans la durée…
Romain : Exactement ! Mais finalement, si on s’arrête demain, on a déjà un vécu. On a fait 12 ans, 5 albums, 5 tournées, 700 dates donc quelque part c’est exponentiel également. Et je pense que ce que l’on a, c’est de l’or parce que de jouer chaque soir devant 500 et 1500 personnes et qui connaissent les textes du dernier album comme ceux d’il y a dix ans… On a un public qui est très particulier. Tu enlèves les habits et le corporatisme, il y a un fond commun. On nous dit qu’on est assez universel. On ne veut surtout pas appartenir à une caste musicale.
Rocklegends : Et l’histoire de cette pochette ? Eiffel a souvent un fond d’écriture assez sombre, avec des notes de méfiance voire de défiance vis-à-vis de l’évolution de l’humanité. Et cette pochette si légère, drôle de contraste non ?
Romain : Oui, c’est comme je te disais tout à l’heure, suites aux malheurs vécus sur A Tout Moment et avec les textes que j’avais, je ne voulais pas sombrer dans le pathologique. On s’est dit qu’on allait faire quelque chose de très enfantin, la bd on a toujours adoré. Les pochettes comme Sgt Pepper ou Gorillaz… C’était donc pour faire le contraste. C’est comme dans « Ces Gens-là », il y a une description assez triste, sombre mais à un moment donné, il y a Frida. Moi aussi, il y a toujours une Frida quelque part, un truc gorgé soit d’espoir, soit d’amour, soit de sexe s’il faut… et ça j’y tiens vraiment.
Rocklegends : Quand j'écoute des titres comme « Libre », « Chanson Trouée », « Lust For Power », j'ai l'impression que Foule Monstre contient plus de titres composés sur une base de piano / voix ?
Romain : Oui, c’est vrai. En fait, même sur Tandoori qui était un album à guitare, j’en ai écrite beaucoup avec un piano. « Bigger Than Biggest » qui est un morceau de metal, je l’ai composé au piano. Mais « Libre » et « Lust For Power », c’est le lien entre la pop de Lennon et le rap. Pour moi, le premier morceau de rap, c’est « I Am The Walrus » des Beatles. Et après, quand tu écoute « I’m A Soldier » de Eminem, tu te dis qu’on n’est pas loin ! Je suis un grand dingue de Lennon et McCartney et il y a plein de morceaux où c’est le piano qui bat toutes les croches. Et ce mélange de pop old-school et hip hop, tu ne l’as pas avec une guitare.
Rocklegends : Vous avez joué il y a quelques mois aux Francos de Montreal, ça vous donne envie de parcourir le monde et jouer un peu partout ?
Romain : On chante en Français donc au Québec c’était logique. Et on s’est donc dit qu’il fallait commencer par la Belgique, la Suisse et le Québec. Par exemple, Foule Monstre marche bien en France, ce n’est pas la folie qu’il y a eu autour d’A Tout Moment mais en termes de chiffres, on en est au même point, 14 000 ventes à deux mois de la sorties. Mais en Belgique, ça marche beaucoup plus qu’avant pour nous. Le problème aussi, c’est que la France c’est plouc ! Je ne citerai pas de noms mais pour le jeune moyen, les médias lui balancent n’importe quoi. Il n’y a rien en termes de textes ou d’harmonies. En Belgique ou au Québec, les mecs sont dans la découverte, la curiosité. Il y a des fiefs comme ça comme à Bruxelles… même si c’est vrai aussi en Bretagne.
Rocklegends : Tu te vois jouer à Londres ?
Romain : Oui j’adorerai, on va le faire dans des petits troquets. Mais c’est très difficile de jouer à Londres et de s’y faire aimer sauf si tu vas jouer devant des Français à Londres mais c’est un peu con. Mon grand rêve c’est d’habiter Londres.
Rocklegends : Dernière chose, le Vauban vient de fêter ses 50 ans au début du mois, un petit mot pour cette salle que vous affectionnez tant ?
Romain : Oui j’ai vu ça ! Ce que j’aime, c’est qu'ici, tu as l’impression d’aller chez les gens ! Il y a quelques clubs comme ça en France mais très peu. Et jouer ici alors que mes idoles comme Ferré, Trenet ou Mistinguett ont joué ici. Et Bourvil a joué ici ! Je suis un fan de Bourvil, j’aimerais un jour reprendre « Ma Petite Chanson » avec Eiffel. Du coup, le fait de jouer ici c’est un peu comme un honneur pour nous, comme si tout redevenait un peu vrai. En ce moment, comme ça se casse la gueule pour le disque, ça se casse aussi la gueule sur les concerts. Et je trouve ça chouette ici, tu as l’impression que tout est authentique…
Rocklegends : Sincèrement, merci à toi Romain.
Propos recueillis par Jean Jean